Chapitre XXX

Un mois plus tard, ils se trouvaient dans une assez grande ville australe, Espérance-Station, où ils venaient de rendre le cotre et d’empocher la caution. Le représentant de la compagnie avait retenu un gros pourcentage en prétextant que le cotre des rails avait été endommagé durant la location. Lien faillit se battre avec lui et finalement ils parvinrent à un accord raisonnable.

Ils s’installèrent dans un hôtel médiocre de la périphérie, là où la verrière avait le plus souffert des dernières tempêtes. Il faisait froid, l’hôtel était mal chauffé et leur cabine mesurait deux mètres cinquante sur un mètre cinquante avec deux couchettes superposées. Le moral était au plus bas chez Lien et Leouan respectait son mutisme. Ils allèrent dîner dans un restaurant pour « marins ». Jamais comme dans cette ville, ils ne se rendirent compte de l’antagonisme entre les gens qui roulaient sur des « voiliers du rail » et les cheminots de l’Africania. Les premiers ressemblaient à des clochards grandes gueules, contestataires, alcooliques et bagarreurs, les seconds gagnaient bien leur vie, constituaient une classe sociale supérieure et se montraient très puritains.

Le troisième jour, dans ce petit restaurant minable, ils firent la connaissance d’un capitaine qui se nommait Cant Noï. C’était un gros Asiatique chaleureux qui avalait des quantités de bière alcoolisée avec des tartines de beurre de poisson très salé. Il leur expliqua qu’il était propriétaire d’une jonque à trois mâts qui pouvait emporter deux cent cinquante tonnes de marchandises.

— Je n’ai plus que trois membres d’équipage. Les autres ont filé parce que je n’avais même plus de quoi les nourrir tous. Et pourtant je pourrais acheter aujourd’hui même deux cents tonnes de bon alcool de soja qui, dans les petites compagnies d’Australasienne, me rapporteraient vingt fois plus. À condition d’échapper aux milices de ces petites compagnies. Ce sont des bandits qui vous rançonnent jusqu’à l’os.

— Vous connaissez l’Australasie ? demanda Lien qui essayait de ne pas trop rêver.

— Je vais souvent jusqu’à China-Voksal dans le Nord.

— Jamais à Kamenepolis ?

— Les trains-voiliers sont interdits de circulation et pourtant là-bas c’est la plus grande, la plus belle des banquises, la plus dangereuse également. Je navigue à hauteur des quarantièmes puis je remonte au moteur jusqu’à China-Voksal.

— Combien vaut cette cargaison d’alcool ?

— Vingt mille dollars mais avec quatre mille j’emporte le morceau. On me connaît, on me fera crédit jusqu’à mon retour si je prends une assurance.

Ils allèrent voir la Jonque. Lien ne savait pas quel genre de bateau était ainsi désigné autrefois avant les Glaces, mais le véhicule de Cant ressemblait plus à une épave qu’à un voilier du rail.

— Venez boire une bière à bord.

Une longue caisse en bois, plastique, fer, cuivre, aluminium posée sur six bogies à doubles roues, l’un moteur, un autre aussi mais en panne. L’avant avait une vague forme d’étrave pour fendre le vent debout, l’arrière très haut sur rails abritait la partie habitable, quatre cabines, une cuisine, un salon. Une fois à l’intérieur l’impression changeait. Il y faisait bon grâce au fourneau de cuisine qui nuit et jour diffusait de l’air chaud. Le capitaine expliquait qu’il avait soigné l’isolation.

— Chargés, on file nos six nœuds. Gratuitement. La cale est vaste.

— De combien auriez-vous besoin ?

— Deux mille pour la cargaison, cinq cents pour l’assurance, cinq cents pour le ravitaillement.

Lien venait de récupérer quatre mille dollars de caution. S’ils devaient voyager par les réseaux normaux ils dépenseraient cet argent et arriveraient sans un dollar à Kamenepolis.

— Je peux récupérer combien ? Si je vous les prête ?

— Me les prêter, dit le capitaine soudain moins jovial, et pourquoi le feriez-vous ?

— Pour que vous nous transportiez, ma compagne et moi, jusqu’à China-Voksal.

— Les cinq cents dollars de l’assurance seraient pour votre cabine, les cinq cents autres pour votre nourriture, c’est la règle. Reste les deux mille dollars. Là-bas je vous remettrai vingt mille dollars. Mais ce n’est pas une navigation de tout repos. Surtout pour une femme.

— Allons voir cet alcool, dit Lien qui restait méfiant.

Il se demandait si la Jonque était en état de s’éloigner d’Espérance-Station sur la banquise de l’ancien Océan Indien. Il vérifierait tout avant de prêter son argent.

— La cargaison est à côté. Dans des vieux barils de bois d’autrefois. J’ai oublié, il faudra cent dollars pour les dockers de la Manutention.

 

Les Voiliers du rail
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